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Le changement des interactions entre cyclones et incendies modifie les écosystèmes

Si les impacts de perturbations isolées ont été bien étudiés, nous savons encore peu de choses sur ce qui se passe lorsque les écosystèmes subissent successivement plusieurs pertur- bations. Si une perturbation affecte un écosystème qui est encore en train de répondre à une précédente perturbation, alors ces deux perturbations interagissent. L’effet de ces per- turbations en interaction est alors souvent différent de l’effet ajouté des deux perturbations prises séparément. La première perturbation peut par exemple augmenter la probabilité que la seconde perturbation se produise, augmenter l’intensité de la seconde perturbation, allonger et changer la réponse de l’écosystème, et même provoquer des basculements écologiques où l’écosystème change complètement d’état.

Dans un article publié en décembre dans la revue Trends in Plant Science, Thomas Ibanez et ses collègues ont examiné les interactions entre cyclones tropicaux et incendies et leurs impacts sur la distribution et la composition des écosystèmes. Les interactions entre ces perturbations se produisent prin- cipalement sur les îles et dans les zones côtières. Les dom- mages causés aux arbres par les cyclones qui peuvent géné- rer des vents dont la vitesse dépasse les 200 km.h-1 peuvent augmenter les charges de combustible au sol et la sécheresse dans le sous-bois, ce qui augmente la probabilité, l’intensité et la superficie des incendies ultérieurs.

Dans les régions où ces deux perturbations interagissent natu- rellement, notamment là où il y a fréquemment des incendies déclenchés par la foudre, les interactions entre cyclones et incendies ont permis de maintenir des écosystèmes ouverts de type savane. C’est le cas des savanes à Pins de la plaine Nord-Américaine qui abrite une diversité unique, adapté à ces perturbations. Cette diversité est aujourd’hui menacée par la suppression des feux par l’Homme qui entraîne la fermeture de ces savanes. Le rôle des interactions entre cyclones et incendies dans le maintien des savanes pourrait aussi avoir été négligé dans différentes régions côtières comme dans le Sud- Est de l’Afrique ou encore le Nord de l’Australie.

Dans les régions où les incendies sont principalement d’ori- gine anthropique, les incendies favorisés par les cyclones constituent aussi une menace pour la biodiversité. Dans ces régions les forêts sont naturellement peu inflammables, les feux de forêt peu fréquents. Après un cyclone les incendies déclenchés par les Hommes peuvent plus facilement se pro- pager aux forêts et causer une mortalité des arbres bien plus élevée que celle causée par les cyclones. L’ouverture du milieu favorise alors l’installation d’une couche herbacée qui à son tour favorise de nouveaux incendies qui maintiennent un système ouvert de type savane. Ce processus a été décrit dans différentes îles et régions côtières et notamment à Madagascar par Ghislain Vieilledent coauteur de l’étude.

Le changement climatique va modifier les régimes de ces deux perturbations. Les cyclones les plus intenses devraient deve- nir plus fréquents et pourraient aussi atteindre des latitudes plus élevées. De plus, les sécheresses liées au changement cli- matique augmentent la fréquence des incendies et les zones brûlées dans de nombreuses régions. Par conséquent, de nombreux écosystèmes côtiers et insulaires sont susceptibles d’être fortement menacés par le changement des interactions entre cyclone et incendie. Cette étude identifie de nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre et anticiper ces changements.

Référence :
Ibanez T., Platt W. J., Bellingham P. J., Vieilledent G., Franklin J., Martin P. H., Menkes C., Pérez-Salicrup D. R., Russell-Smith J., Keppel G. 2022. Altered cyclone–fire interac- tions are changing ecosystems. Trends in Plant Science, 27 (12): 1218-1230. https://doi.org/10.1016/j.tplants.2022.08.005

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Arbres morts sur pied et végétation basse en train de repousser 7 ans après le passage du cyclone tropical Fanele (catégorie 4, 2009). Les incendies qui se sont produits dans l’année qui a suivi le cyclone ont fait basculer de larges zones de forêt sèche vers de la savane dans le parc national de Kirindy-Mitea (Madagascar). 
Ghislain Vieilledent