AMAPinfos 55 (Janvier - Juin)

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Le déclin des insectes et la montée d’un biodiversité-scepticisme

Le déclin de la biodiversité est un fait avéré par les experts1. Il en est de même pour les insectes2 dont les services écosystémiques sont primordiaux, même si pour ces derniers une évaluation globale n’est pas simple1.  Cependant, en 2020 deux grandes revues scientifiques, Science3 et Nature Ecology & Evolution4, publient les résultats de méta-analyses relativisant le déclin des insectes et dédouanant l’agriculture comme cause de leur déclin. Des consortiums pluridisciplinaires incluant des chercheurs de l’INRAE, du CNRS et de l’université de Rennes 2 publient dans ces mêmes revues des commentaires critiques5,6 pointant de nombreux biais dans la sélection des données et la méthodologie employée qui sont de nature à remettre en cause leurs conclusions7.
Déjà le titre de la première méta-analyse, publiée par van Klink et coauteurs début 20203, opposant l’augmentation présumée du nombre d’insectes d’eau douce à la diminution d’insectes terrestres, induit le lecteur en erreur. Il laisse penser à tort que l’augmentation des uns contre balance la diminution des autres. Or l’eau douce totalise seulement 2,5 % de la surface terrestre du globe, ce qui signifie que les insectes d’eau douce ne représentent qu’une faible part des insectes dans leur globalité. De plus, cette tendance à la hausse des insectes aquatiques reposait sur 14 études ‘outliers’ qui se sont avérées problématiques, et sur la prise en compte, dans près de la moitié des études, de l’ensemble des invertébrés incluant de façon majoritaire des vers, crustacés et mollusques qui ne sont pas des insectes. La part des insectes dans les assemblages totaux était petite et variable au cours du temps, rendant impossible toute inférence de leur tendance à partir de celles des invertébrés totaux.
Par ailleurs, un tiers des séries temporelles visaient à évaluer les effets de facteurs expérimentaux non pris en compte dans la méta-analyse alors qu’ils impactaient pourtant les communautés d’insectes. Nombre d’entre elles observaient le repeuplement d’insectes dans une zone initialement modifiée par l’homme (incendie, dépollution, désalinisation de l’eau,…). En intégrant les données telles quelles dans leur étude, les auteurs enregistrent des chiffres en croissance alors qu’il s’agit de situations particulières qui ne peuvent être extrapolées.
Ce problème de non-représentativité des données s’appliquaient aussi au choix des groupes taxonomiques étudiés qui favorisait les espèces invasives ou tolérantes au stress comme respectivement les moustiques et certains chironomes par rapport à ceux sensibles aux changements environnementaux comme les abeilles.
Nombre d’autres erreurs ont été recensées comme des séries avec des biais temporels d’échantillonnage, d’autres avec des sites démultipliés qui leur donnaient un poids surnuméraire, une autre encore avec un code erreur ‘101’ qui signifiait absence d’échantillonnage et qui a été interprété et décompté comme 101 spécimens.
Quant à la méta-analyse de Crossley et al. sur les tendances d’abondance et de diversité des insectes aux Etats-Unis publiée en avril 20214, elle reposait sur une analyse statistique bancale. Elle ne s’appuyait pas sur un modèle global hiérarchisé mais sur plusieurs modèles dont les tendances portant chacune sur une espèce d’un site ont été moyennées en violant les conditions d’indépendance et de distribution identique des tendances dans chaque sous-jeux de données. De plus, la moitié des séries chronologiques ne contenait que quatre à neuf données (une par an), ce qui était trop peu pour estimer de manière fiable les quatre paramètres inconnus des modèles associés à chaque série. Par ailleurs, les modèles ne prenaient pas en compte la surabondance de zéros dans les données (50% des données). De plus, ils ne tenaient pas compte de la détection imparfaite des insectes, un problème qui concernait un quart des séries. Ainsi, une série concernant une espèce de puceron dans le Midwest, sans insecte les neuf premières années et avec un seul insecte la dernière année, a été modélisée à tort comme ayant la plus forte augmentation d’abondance de toutes les séries chronologiques, alors qu’elle pouvait simplement refléter la rareté de l’espèce ou sa mauvaise détection. Enfin, 40% des séries temporelles provenaient d’un jeu de données portant exclusivement sur des pucerons nuisibles pour les cultures. Or son inclusion constituait un biais susceptible de minimiser les dommages de l’agriculture intensive sur l’entomofaune, car les pucerons bénéficient de l’agriculture intensive, contrairement à la plupart des insectes.
Ces biais participent ainsi à la non mise en cause de l’agriculture dans le déclin des insectes8. Les auteurs de la première méta-analyse penchaient même vers un conclusion inverse : ils trouvaient une corrélation positive entre les tendances des abondances d’insectes et les surfaces cultivées. Or leur analyse se basait sur une méthodologie utilisant une base de données extérieure sur l’utilisation des terres, créée à partir d’images satellites pas assez résolutives, et sujette à de nombreuses erreurs de classification, notamment parce que les terres cultivées et les prairies avaient souvent des signatures spectrales similaires. Ainsi, les auteurs du commentaire constataient, en se basant sur les descriptions des études publiées ou sur des données satellites plus résolutives, que la couverture des terres cultivées avait été mal évaluée dans deux tiers des études terrestres incluant des zones de cultures !
Nous alertons dans ces commentaires sur la nécessité d’une méthodologie rigoureuse dans les analyses scientifiques des tendances de la biodiversité9,10. Ces études alimentent un doute non fondé sur le déclin de la biodiversité et posent la question de l’émergence d’un biodiversité-scepticisme au sein même de la communauté scientifique11,12. Or pour mettre en place une protection adaptée, les décideurs publics ont besoin d’un diagnostic éclairé et non brouillé par des études biaisées, qui ralentissent la prise de décision.

 

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Bourdon, Bombus terrestris (Apidae) se nourrissant du nectar d’une fleur d’Asphodelus cerasiferus (Xanthorrhoeaceae) dans la garrigue montpelliéraine. Les bourdons sont des pollinisateurs particulièrement sensibles à l’agriculture intensive et notamment à l’utilisation de pesticides. 
Jérémie PRATIVIEL/AMAP/CNRS Photothèque

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Libellule, Neurothemis terminata (Libellulidae) dans la forêt tourbeuse marécageuse de Bornéo (Brunei Darrussalam). Les libellules passent leur stade larvaire en milieu aquatique et, parmi elles, selon les données de l’UICN, beaucoup d’espèces sont menacées par les changements environnementaux au profit de quelques espèces généralistes.  
Laurence GAUME-VIAL/AMAP/CNRS Photothèque